Anecdote 6

Grâce aux mouvements tectoniques s'étant produits il y a plusieurs millions d'années et ayant provoqué le soulèvement du plateau du Colorado (ce nom est trompeur car la majorité de ce plateau se situe en Utah) des profondeurs de la mer à 2000m d'altitude, l'Utah jouit aujourd'hui de paysages hors du commun. Pour preuve, plus de 60% de son territoire est la propriété du gouvernement américain et est protégé sous forme de parc national, monument national, forêt nationale,... Ces richesses naturelles attirent les touristes du monde entier et les parcs les plus populaires comme celui de Bryce voient défiler plus de 2 millions de visiteurs chaque année. Afin d'éviter d'abimer prématurément ces merveilles géologiques, les visiteurs sont dirigés vers des sentiers bien balisés et sont priés de ne pas en sortir. Ces lieux n'en restent pas moins magnifiques mais il est souvent difficile de prendre une photo sans avoir un américain, un chinois ou un allemand apparaissant dessus.

Toutefois les prouesses de mère nature les plus fragiles sont davantage protégées et voient un nombre limité de visiteurs pouvant les admirer. Un permis est alors nécessaire pour y accéder. Plus le permis est difficile à obtenir et plus le nombre d'applicants est important, la rareté du site contribuant à sa beauté. Sans conteste le lieu appelé "the waves" situé dans le Monument National de Vermillon Cliffs fait partie de ces endroits d'exception.

La beauté de ce lieu n'est plus à prouver car il fait partie des fonds d'écran proposés par Windows. Toutefois il est extrêmement fragile car constitué d'une alternance de couches de grès colorés en jaune, orange, rouge et violet. De part la nature friable de cette roche, chaque pas des visiteurs dégrade un peu plus cet arc en ciel de couleurs. Pour limiter au maximum l'érosion dûe à l'homme, les Rangers gérant le parc ont décidé de limiter à 20 le nombre de visiteurs journaliers pouvant se rendre sur ce lieu. 10 d'entre eux sont tirés au sort sur Internet mais il faut s'inscrire 3 mois à l'avance. Les 10 autres sont tirés au sort au centre d'information de la ville de Kanab et sont autorisés à visiter "the waves" le lendemain de la loterie. Vu notre organisation d'enfer consistant à ne penser qu'au lendemain, nous avons opté pour la seconde solution.

A vrai dire, lorsque nous sommes arrivés à Kanab, nous ne savions même pas que la visite de "the waves" se faisait par tirage au sort. Nous sommes arrivés vers midi au centre d'information de Kanab et avons demandé le plan d'accès pour nous y rendre car nous trouvions que nos cartes n'étaient pas très précises et n'indiquaient pas très bien ce lieu pourtant si réputé. Notre interlocutrice nous a gentiment répondu que l'endroit exact est tenu plutôt secret (même si des cartes circulent sur Internet) et seuls les randonneurs possédant un permis peuvent s'y rendre. Ce dernier est décerné à 10 personnes par l'intermédiaire d'une loterie se tenant quotidiennement à 9h. Le matin même 88 personnes s'étaient présentées. Voulant voir ce lieu et n'étant pas spécialement pressés dans notre planning, nous avons décidé de rester la journée sur Kanab et de nous inscrire à la loterie le lendemain matin, les inscriptions se faisant entre 8h30 et 9h.

Excités par l'événement, nous nous sommes réveillés assez tôt et étions dès 8h devant l'office du tourisme. Une file impressionnante de participants à la loterie s'étendait déjà à l'extérieur. Nous roulions des épaules la veille sûrs de nos chances de victoire mais à ce moment précis nous n'en menions pas lourd. Nous avons sagement attendu que la salle de tirage ouvre ses portes. Nous nous sommes alors inscrits sur un formulaire. Pour information, chaque groupe de randonneurs s'inscrit sur la même feuille. Si le numéro de leur formulaire est tiré au sort, ils ont le privilège de tous se rendre à "the waves". S' ils étaient 4, il ne reste que 6 permis disponibles. Si par exemple 8 permis ont déjà été distribués et le formulaire d'un groupe de 3 personnes est tiré au sort, ils doivent soit passer leur tour, soit tirer à la courte paille.

Quoiqu'il en soit, nous avons inscrit nos 2 noms sur le même formulaire. Après avoir refusée une proposition de triche venant d'une personne nous demandant d'écrire son nom sur notre formulaire contre quoi il nous rendait la pareille (il est bien entendu interdit pour une personne de s'inscrire sur 2 formulaires), nous avons déposé notre feuille à la Ranger s'occupant du tirage. Le numéro 14 nous a alors été attribué parmi les 45 numéros ayant été distribués pour 104 participants au total.

Le moment fatidique est alors arrivé. La Ranger a placé 45 boules numérotées dans une roue. Comme dans une vraie loterie, elle a tourné la manivelle de son appareil et après des secondes qui ont paru des heures, le numéro 17 est sorti. Tout le monde a repris sa respiration et a applaudi les 2 japonais ayant gagné les 2 premiers permis. Puis le silence est revenu dans la salle quand la Ranger s'est remise a tourner sa roue. Et là, le numéro 14 est miraculeusement sorti. Dans ce fort moment d'émotion, on ne se rappelle plus très bien ce qu'on a dit mais c'est sûr qu'on a crié car la Ranger a sursauté. L'émotion était encore plus forte car nous étions le 24 septembre. Le permis était donc valable le 25 septembre, jour de l'anniversaire de Pierre-Jean. Le tirage a ensuite continué mais nous n'avons pas vraiment écouté les numéros piochés.

A la fin du tirage, la Ranger a gardé les 10 heureux gagnants pour établir leurs permis et surtout leur donner les indications pour se rendre à "the waves". Pour limiter le nombre de curieux ne possédant pas de permis et voulant visiter ce lieu, le sentier de 10kms aller-retour n'est quasiment pas ballisé. De plus, l'environnement désertique dans lequel la randonnée se fait implique de prendre quelques précautions. Ils ont déjà dû envoyer 2 hélicoptères depuis le début de la saison pour secourir des randonneurs perdus. Le topo de 1h30 nous a donné toutes les informations nécessaires. Il a comiquement été interrompu à 2 reprises. La 1ère fois, un monsieur ayant le numéro 10 est venu se plaindre que le couple de chinois ayant gagné avec le numéro 9 lui était passé devant au moment de la remise des feuilles à la Ranger. Il soutenait que culturellement les américains avaient plus de respect que les chinois. Cela ne le gênait cependant pas de tenir des propos racistes et d'estimer qu'il méritait un permis car le numéro 9 aurait dû lui être attribué. Ridicule! La 2ème fois, un couple d'allemand est arrivé à 9h30 pour remplir un formulaire pour la loterie. Les pauvres venaient de l'Arizona, état situé à moins de 100kms de Kanab mais qui a 1h de décalage horaire avec l'Utah. Le mari dégoûté est resté au moins 5 minutes à fixer du regard la pendule située dans la salle.

Le suspens est a son comble

Voici le fameux permis que tout le monde convoite

Nous avons dans l'après-midi pris la route pour le camping gratuit situé en plein milieu du désert, 3kms au sud du chemin de randonnée menant à "the waves". Nous avons en effet décidé de prendre un peu d'avance car la seule route d'accès au début de la randonnée est en fait un chemin en terre sur lequel notre Dodge ne peut pas avancer très vite et risque à de nombreux endroits de rester enliser. Mais tout s'est bien passé.

Après une nuit sous un ciel rempli d'étoiles, la randonnée du lendemain ne fut que du bonheur. Grâce aux conseils de la Ranger, nous nous somme facilement repérés et avons même décidé de sortir des "sentiers battus" comme elle nous l'avait conseillé. C'est tellement agréable de pouvoir emprunter l'itinéraire qu'on veut en ne croisant pendant plusieurs heures pas la moindre âme humaine. La découverte de "the waves" fut magique car ce lieu est encore plus beau en vrai qu'en photo. Certains des autres gagnants de la loterie étaient déjà là et ont pu nous prendre en photo tous les 2 pour immortaliser le moment. Pierre-Jean a pu souffler ses 28 bougies (manière de parler car on n'avait pris qu'une seule bougie) dans ce décor surnaturel. Après plusieurs heures passées et quelques centaines de photos prises de cet endroit de quelques dizaines de mètres carrés seulement, nous avons pris le chemin du retour en prenant soin d'emprunter un itinéraire différent de l'aller. Nous sommes arrivés à la voiture avec le sentiment d'être les personnes les plus chanceuses et surtout les plus heureuses sur Terre.

Il y avait environ 30 kms de chemin en terre a parcourir pour atteindre le parking